Combien de plantes sauvages comestibles y a-t-il sur Terre? Quel est le pourcentage des végétaux que l’on peut consommer sans risque? Voici une question qui revient assez souvent durant les stages que nous donnons et à laquelle il n’est pas aisé de répondre tant le sujet est vaste. Nous tenterons une réponse dans cet article en toute humilité.
À la louche, je dirai qu’il existe beaucoup de plantes sauvages comestibles. Ainsi, lorsque je me promène dans la nature autour de chez moi, je peux identifier des dizaines d’espèces comestibles et médicinales, les toxiques étant généralement moins nombreuses à mon avis. Mais il y a une différence entre une estimation et un comptage plus précis.
Cet hiver, j’ai eu l’envie de me plonger dans le monde passionnant de l’ethnobotanique, sous-domaine de l’ethnologie, qui s’intéresse au lien entre les sociétés humaines et le monde végétal. D’ailleurs, par un curieux hasard, alors que cet article est publié, TelaBotanica sort un Mooc sur l’ethnobotanique. Avis aux amateurs!
Je ne suis bien entendu pas le premier à m’être posé la question et de nombreuses études des usages des plantes existent à travers le monde.
Mon intuition me dit qu’il y a deux manières de poser la question:
1. Combien de plantes sauvages sont utilisée par les populations locales dans telle ou telle région ?
Cette première question a une réponse par les chercheurs en questionnant les habitants d’une région sur leur pratique d’usage des plantes sauvages, comestibles ou médicinales. On compte le nombre de plantes utilisées et on fait le pourcentage par rapport à la flore vasculaire connue de la région. C’est ce que font les études ethnobotaniques que j’ai trouvées.
2. La seconde approche est de se demander combien il existe de plantes utilitaires en tout, dans une région donnée, et pas uniquement celles utilisées par les habitants.
Effectivement, certaines plantes comestibles d’une région sont inconnues des habitants locaux et il serait intéressant de pouvoir les comptabiliser aussi. C’est ce que j’ai tenté de faire à la fin de l’article à l’aide d’une base de données sur la flore.
Les études ethnobotaniques
Commençons par la première approche. La réponse à la première question se trouve donc dans de nombreuses études à travers le monde. J’en ai utilisé une dizaine en Europe et en Asie, pour essayer d’avoir une vue d’ensemble.
Les chiffres que j’ai trouvés pour les études Européennes varient entre 3.5 et 9% de la flore utilisée par les populations locales. Je n’ai pas trouvé d’études avec des chiffres pour la Suisse et la France. Je les ai résumées dans le tableau suivant:
Pourcentages de plantes sauvages comestibles utilisées dans divers pays
Je trouve ce chiffre assez faible, car j’ai le sentiment que le nombre total de plantes que l’on peut utiliser en Europe est plus élevé que 10%.
Dans les quatre études coréennes que je cite, les chercheurs ont toutefois trouvé qu’entre 33 et 54% de la flore locale étaient utilisés à des fins culinaires.
La différence entre la Corée et l’Europe est vraiment impressionnante! Cela pourrait indiquer que les coréens connaissent bien mieux les usages de leur flore que les Européens. Ce qui est possible.
Mais prudence, car il peut aussi s’agir d’une différence dans la manière de compter ces usages ou sur le nombre total de plantes… Comparer des études entre elles n’est pas toujours aisé.
Si l’on prend ces chiffres pour être juste, cela montre tout de même une grande diversité de connaissance et d’usage des plantes comestibles selon les régions.
Les usages des plantes sauvages selon la Flora Indicativa
La seconde manière de se poser la question du nombre de plantes comestibles est de vouloir connaître le nombre global de plantes comestibles, pas uniquement celles utilisées. Cela implique de savoir pour chaque plante d’une région, ou de la Terre entière, qu’elle est sa comestibilité.
Nous n’avons bien entendu pas de telle connaissance générale pour toutes les plantes sur Terre, qui compte entre 300-400’000 plantes vasculaires! Il existe cependant des listes et des bases de données en contenant suffisamment pour pouvoir faire une estimation.
C’est le cas de la Flora Indicativa qui est une base de données des valeurs indicatrices, ou bio-indicatrices, de plus de 6000 plantes de Suisse et des Alpes. En l’explorant, j’ai été surpris d’y découvrir que les auteurs ont rajouté les indications de comestibilité, d’usage médicinal et de toxicité pour la plupart des plantes. Quel travail titanesque!
Je me suis donc amusé à faire des statistiques à partir de ces trois données: comestibilité, usage médicinal et toxicité. Le nombre total de plantes de la liste est de 5644, après nettoyage des doublons potentiels.
Par comestible, on entend ici une plante possédant au moins une partie comestible. Une plante peut en conséquence se retrouver dans plusieurs catégories. Par exemple, l’if (Taxus baccata) est toxique 3, mais également comestible, puisque l’arille (la pulpe rouge qui entoure le fruit) peut se manger.
Voici les résultats [13]:
La Flora Indicativa recense 52% de plantes comestibles. Par conséquent, plus de la moitié des plantes présentent en Suisse et dans Alpes, indigènes et exotiques confondues, seraient comestibles! Ce qui est bien au-dessus des 3-10% de plantes utilisées en Europe. Il y aurait ainsi une grosse différence entre le nombre de plantes comestibles et celles utilisées localement.
Concernant les plantes toxiques, il y a 22 % de plantes recensées. Il faudra donc faire attention durant toute cueillette, puisque environ 1 plante sur 5 serait toxique. Les plantes toxiques, mais généralement non mortelles (toxicité 1+2) se montent à 19% et seulement 3 % sont cataloguées avec le 3ᵉ degrés de dangerosité (plantes morelles à petites quantités comme les aconits ou certaines ciguës).
Les plantes très dangereuses sont donc bien plus rares que les comestibles, ce qui est plutôt rassurant ^^.
Les plantes connues pour leurs vertus médicinales se montent à 18%, ce qui est bien plus faible que pour la comestibilité.
On prendra ces chiffres pour ce qu’ils sont, une grossière estimation de nos connaissances de la diversité du vivant. Mais, ils donnent une idée générale pour la Suisse et par extension pour l’Europe tempérée.
Tentative de compter les plantes comestibles, médicinales et toxiques des prés et des forêts des Pléiades
En suivant la même logique, j’ai voulu connaître ces pourcentages, mais à une échelle plus réduite, celle de ma région, les Pléiades. Et, pour m’aider dans cette estimation, j’ai eu la chance d’être accompagné autour de chez moi par Françoise Hoffer, une des botanistes du Cercle Vaudois de Botanique les plus actives et renommée.
Nous avons donc parcouru les pâturages et forêts autour de chez moi et recensé toute la flore que nous observions. Nous n’avons pas fait un relevé parfait de toute la région, mais il correspond assez bien aux plantes rencontrées durant une balade autour de chez moi.
Nous avons recensé 148 plantes au mois de mai 2024[14]. Pour parfaire ce résultat, il faudrait dans l’idéal faire plusieurs relevées au fil de l’année, ce qui n’a pas été possible.
Je n’ai ensuite eu qu’à croiser cette liste avec la base de données de la Flora Indicativa pour connaître les chiffres de ma région, avec une surprise à la clef :
Si le pourcentage de plantes toxiques ne varie pas trop, le pourcentage de plantes comestibles de ma région est surprenant, car il monte à 73 % ! En gros, lorsque je me promène autour de chez moi au mois de mai, les ¾ des plantes sont comestibles. Cela ne veut pas dire qu’elles sont bonnes, mais qu’elles se mangent sans danger 😋.
Cela ne veut pas dire non plus que je pourrais toutes les utiliser, car certaines peuvent être protégées ou menacées. Dans tous les cas, nous le cueillerons avec parcimonie.
L’autre bond en avant est celui des plantes médicinales avec 43% dans ma région contre 18% dans la liste complète de la Flora Indicativa. Est-ce que ma région posséderait plus de plantes médicinales qu’ailleurs ou est-ce un effet d’échelle?
Finalement, il n’y a que 11% de plantes de ma région dont on ne sait rien du tout: ni si elles se mangent, s’utilisent pour leurs vertus ou si elles sont toxiques. Il me semble que ce chiffre est assez faible et peut témoigner du fait que nous avons fait ce relevé dans une zone fortement modifiée par l’homme: pâturages, forêts entretenues, bords de chemins. Un relevé d’une zone plus sauvage montrerait certainement un chiffre différent, peut-être plus grand?
Pour terminer
Cette petite étude s’arrête ici. Il ne s’agit pas d’une véritable étude ethnobotanique, et elle a assurément des défauts. Je pense néanmoins que ces chiffres donnent des tendances et qu’ils sont intéressants. Je suis étonné et ravi de la quantité de plantes comestibles de ma région !
Les plantes sauvages ne peuvent pas être réduites à de simples lignes dans un tableau. Pourtant, ce genre d’exercice me fait prendre conscience de la diversité du vivant, et que j’ai encore beaucoup à apprendre. Car sur ces 73 %, beaucoup me sont inconnues.
J’imagine que toutes ne seront pas plaisantes d’un point de vue gustatif, car certaines peuvent être âcres ou amères, mais j’ai probablement encore de belles surprises à découvrir !
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Références
[1] Won-Bok Seo, Jin-Hwan Jang, Ki-Oug Yoo, Distribution of Vascular Plants in Mt. Ilsan (Hwacheon-gun, Gangwon-do), Korean Journal of Plant Resources , 2009[2] Byun J.G., Jang J.W., Yang J.C., Lee Y.M., Jung S.Y., Ji S.J., Jang J., Lee H.J., Hwang H.S., Oh S.H., The Flora of Vascular Plants in Mt. Gariwang Protected Area for Forest Genetic Resource Conservation, South Korea, Korean Journal of Plant Resources, 2013, 26(5) DOI:10.7732/kjpr.2013.26.5.566
[3] Park, Kyu Tae et al. , The Vascular Plants in Mt. Bohyeon, Gyeongbuk, Korea, Korean Journal of Plant Resources , 2015, 28(2):193-216, http://dx.doi.org/10.7732/kjpr.2015.28.2.193
[4] Jeong, G., , P., Jeong, S., Lee, S., Choi, H., Nam, B., Lee, Y., & Choi, H., Distribution of Vascular Plants in Gongdeoksan (Mungyeong, Gyeongbuk), Korean J. Plant Res., 2008. 21, pp. 270-280.
[5] Bonet MA, Use of non-crop food vascular plants in Montseny biosphere reserve (Catalonia, Iberian Peninsula), International Journal of Food Sciences and Nutrition, 2002 May;53(3):225-48. doi: 10.1080/09637480220132841. PMID: 11951586.
[6] Rigat M, Bonet MÀ, Garcia S, Garnatje T, Vallès J., Ethnobotany of food plants in the high river Ter valley (Pyrenees, Catalonia, Iberian Peninsula): non-crop food vascular plants and crop food plants with medicinal properties, Ecol Food Nutr., 2009 Jul-Aug;48(4):303-26. doi: 10.1080/03670240903022320. PMID: 21883071.
[7] Benítez, G.; Molero-Mesa, J.; González-Tejero, Wild Edible Plants of Andalusia: Traditional Uses and Potential of Eating Wild in a Highly Diverse Region, Plants, 2023, 12, 1218. https://doi.org/10.3390/plants12061218
[8] Raivo Kalle, Renata Sõukand, Wild plants eaten in childhood: a retrospective of Estonia in the 1970s–1990s, Botanical Journal of the Linnean Society, 2013, Volume 172, Issue 2, Pages 239–253, https://doi.org/10.1111/boj.12051
[9] Łuczaj Ł., Kujawska M, Botanists and their childhood memories: an under-utilized expert source in ethnobotanical research, Botanical Journal of the Linnean Society, 2012, 168: 334–343
[10] Łuczaj, Ł., Köhler, P., Pirożnikow, E. et al. , Wild edible plants of Belarus: from Rostafiński’s questionnaire of 1883 to the present, J Ethnobiology Ethnomedicine, 9, 21 (2013). https://doi.org/10.1186/1746-4269-9-21
[11] Andrea, Dénes., Nóra, Papp., Dániel, Babai., Bálint, Czúcz., Zsolt, Molnár. , Wild plants used for food by Hungarian ethnic groups living in the Carpathian Basin, Acta Societatis Botanicorum Poloniae, 2012, 81(4):381-396. doi: 10.5586/ASBP.2012.040
[12] Łukasz Łuczaj, Ethnobotanical review of wild edible plants of Slovakia, Acta Societatis Botanicorum Poloniae, 2012, 81(4):245–255 DOI: 10.5586/asbp.2012.030
[13] E. Landolt et al., Flora indicativa. Ökologische Zeigerwerte und biologische Kennzeichen zur Flora der Schweiz und der Alpen, Haupt, Berne, 2010.
[14] Note Floristique du 01.05.2024, Les Pléiades, Suisse.