Plantes sauvages dans cet article:
Le sorbier des oiseleurs a une histoire longue et fascinante. Tantôt divinisé par les Celtes pour ses vertus de protection des forces malignes ou encore utilisé comme appât par les chasseurs d’oiseaux. Si nous pouvons profiter de ses baies en cuisine pour en préparer de délicieuses sauces aigres-douces, la récolte doit se faire en parcimonie, sachant que c’est une ressource précieuse pour la faune durant l’hiver.
Sorbier des oiseleurs
Sorbus aucuparia
Famille: Rosacées
Floraison: Mai-juin
Milieux: Lisières de forêt, haies, pâturages
Altitude: 0-1800 m
Abondance: Localement abondante
Parties utilisées: fleurs (mai), fruits (dès septembre)
Reconnaître le sorbier des oiseleurs
Le sorbier des oiseleurs, Sorbus aucuparia, est un arbuste de la famille des rosacées que vous avez certainement déjà croisé durant une balade forestière. Ses feuilles composées de 5 à 9 paires de folioles dentées en forme de scie sont facilement reconnaissables, et dès l’automne venu, ses fruits orange-rouge ne passent pas inaperçus. Ses fleurs blanches réunies en corymbe fournissent un bon nectar aux insectes durant les mois de mai et juin, période de leur floraison.
Je vous suggère d’aller voir les descriptions de Tela-botanica (pour les Français) ou Infoflora pour les Suisses.
Ces fruits sauvages sont appelés sorbes et sont convoités par les oiseaux. Ils arrivent à maturité à la fin de l’été et sont de couleur écarlate, lisse et persistent quasi tout l’hiver, caractéristique bien utile à la faune comme aux cueilleurs. Leur chair juteuse a un goût amer et astringent, assez surprenant de premier abord. C’est en les cuisant et en les préparant qu’ils délivreront leur intérêt gustatif.
Le sorbier des oiseleurs est un arbuste commun en Suisse et en France, sa répartition en Europe est grande. Elle s’étend vers le nord jusqu’en Norvège et vers l’est dans toute la Russie. On le trouve en milieu forestier sur un sol léger et comme il aime la lumière, il se rencontre plutôt en lisière de forêt qu’au milieu d’un bois sombre. Il abonde en montagne et évite le pourtour méditerranéen, car il affectionne les climats tempérés et humides de moyenne montagne. C’est en général dans ces milieux ouverts où j’en rencontre les plus beaux individus.
Histoire du sorbier
Oiseleur: un métier oublié
Son nom latin est aucuparia et vient de aucuparis. Il contient avis signifiant oiseau et capere qui signifie capturer. C’est J. Bauhin, un naturaliste bâlois d’origine française, qui lui donna ce nom en 1650. Ses fruits étaient effectivement utilisés par les oiseleurs, dont le nom vernaculaire est tiré. L’Alphabet des arts et métiers de 1826 nous fournit une belle description de ce métier d’un autre temps aujourd’hui disparu:
“L’oiseleur est une espèce de chasseur qui, sans le secours du plomh et de la poudre, parvient à prendre et à détruire les oiseaux, au moyen d’une petite cage qu’il appelle « appât », et qui renferme un oiseau de l’espèce de ceux qu’il veut attirer dans le piège. L’oiseleur tend ses filets , dans lesquels il sème un peu de graine, et se met en embuscade. Le petit oiseau prisonnier, par son ramage ou gazouillement, attire les autres autour de sa cage, qui est placée près du filet ; ces derniers ne tardent pas à s’y rassembler et à pénétrer dans le filet semé de graine ; et, tandis qu’ils s’amusent à la becqueter, l’oiseleur tire un petit cordon, espèce de détente qui referme le filet ; les pauvres innocents sont pris dans le piège, et périssent bientôt sous les coups de l’oiseleur, qui s’en empare et vient les vendre au marché.” [1]
Si les baies ne sont plus utilisées comme appât, l’arbuste est cultivé comme arbre d’ornement. On en plante souvent dans les haies vives indigènes.
Un protecteur des forces du mal
L’Irlande est riche de mythes celtiques. Selon Maria Freeman, les druides jetaient des rameaux de sorbier entrelacé sur les peaux des animaux sacrificiels, sur lesquels ils s’allongeaient pour voyager dans le monde des esprits. Cette pratique serait à l’origine de l’expression irlandaise “aller sur les rameaux de la connaissance” signifiant faire son possible pour découvrir quelque chose. Dans la tradition irlandaise, les Tuatha de Dannan, les dieux provenus de la terre promise, apportèrent le sorbier sur terre. Les baies avaient la réputation d’être la nourriture des dieux et on prétendait qu’elles rendaient la jeunesse aux vieillards [2].
Cet arbre divin était utilisé pour se protéger et éloigner les forces maléfiques. Planté près d’une tombe, il empêcherait le mort de venir hanter les lieux. Ainsi, les gens le portaient sur soi ou fabriquaient toute sorte d’outils domestiques avec son bois. On l’utilisait pour confectionner des amulettes avec deux petites branches nouées en crois avec du fil rouge. Dans les Highlands et en Cornouailles, celles-ci étaient transportées dans les poches et dans les doublures des vêtements ou encore attachées dans les étables et même sur le bétail pour porter chance. Planté près d’une maison, il éloignait la foudre[2–3].
Utilisations du sorbier des oiseleurs
Propriétés médicinales: un antioxydant puissant
Les fruits sont traditionnellement utilisés comme diurétique, et leur astringence sera utile en cas de diarrhées et de dysenteries chroniques. Les feuilles étaient utilisées contre la toux et en cas de bronchites.
Le sorbier contient de la vitamine C en quantité appréciable (jusqu’à 160mg/100g [4]), différents pigments comme des caroténoïdes et des flavonoïdes ainsi que des composés phénoliques. Ces différents principes actifs contribuent aux propriétés antioxydantes, antidiabétiques et anti-inflammatoires mises en lumière par les études scientifiques [5–6–7].
Ces dernières indiquent que toutes les parties du sorbier continent des composés phénoliques, dont les propriétés redox agissent comme antioxydants [5–6–7]. Ce sont les fleurs qui en contiennent le plus [7] et celles-ci sont dans le top 5 parmi les 20 rosacées les plus utilisées à ces fins [8].
Les sorbes contiennent également du sorbitol, un édulcorant naturel deux fois plus puissant que le saccharose, aujourd’hui synthétisé comme complément pour les personnes diabétiques.
Toxicité
Attention, si manger quelques fruits dans la nature ne pose pas de problème, ils peuvent se révéler toxiques à l’état cru, car ils contiennent de l’acide parascorbique pouvant provoquer des vomissements s’ils sont consommés en grande quantité. Pour neutraliser cet acide, les sorbes doivent être cuites longuement. Ce qui empêchera malheureusement d’utiliser les fruits comme complément en vitamine C puisqu’elle sera détruite à la cuisson… Il faut également les filtrer pour enlever les graines.
En résumé: on cuit et on filtre!
Cueillette et risques de confusion
La récolte des baies peut se faire dès le mois d’août selon les régions, jusque tard dans l’hiver. Mais ce sera principalement en automne qu’on les récolte. Elle est facile et ne comporte par de risque de confusion avec des arbres à baies toxiques, si l’on prend le temps d’observer l’arbre en entier. Pensez aux points suivant:
- Les baies sont de couleurs orange.
- La forme des feuilles, qui doivent être composées et alternes.
Les baies sont une ressource de nourriture importante pour la faune durant l’hiver, pensez-y! Récoltez uniquement que ce qui est accessible à vos bras et laisser le reste en place.
Il existe un autre sorbier, appelé cormier ou sorbier domestique (Sorbus domestica). Il est devenu très rare en Suisse, où il est même menacé, alors qu’il ne l’est pas en France où il est plus abondant. Les feuilles sont très similaires, par contre les fruits font jusqu’à 3cm de diamètre, on confondra donc difficilement les deux fruits.
On appelle les fruits du sorbier les sorbes et ceux du cormier les cormes, même si souvent les deux sont appelés sorbes. Ces dernières sont également comestibles, bien que je n’ai jamais eu l’honneur de les goûter, puisqu’il est en voie d’extinction en Suisse.
On pourrait également confondre les sorbes avec des fruits de diverses espèces de cotonéaster. Pour les différencier, on se rappellera que les feuilles du sorbier ont des feuilles composées et non simples.
Cuisine des sorbes et du sorbier
Les baies étant amères et acidulées, elles ne sont pas très agréables à manger crues et comme on l’a vu elles sont même toxiques. Il faut les cuire longuement. Prenez le temps, 1/2h minimum de cuisson. J’ai déjà eu des comptes rendus de personnes ayant fait une sauce aux sorbes pas assez cuite, et elles ont passé une sale nuit: vomissements ou nausées selon les personnes.
Par contre bien préparées, elles sont délicieuses! Elles s’accommodent parfaitement en accompagnement de viandes à fort caractère, comme le gibier utilisé pour la chasse par exemple, préparé en sauce aigre-douce ou “chutney” ou en gelées. Elles sont également utilisées pour préparer diverses liqueurs et boissons alcoolisées.
Références
- [1] Alphabet des arts et métiers, Brianchon, 1826 pages 51–52
- [2] Maria Freeman, Vivre la tradition celtique au fil des saisons, Guy Trédaniel Édition.
- [3] Scott Cunningham, Encyclopédies des plantes magiques, ADA Édition
- [4] Berņa, E., Kampuse, S., Dukaļska, L., & Mūrniece, I. (2011). THE CHEMICAL AND PHYSICAL PROPERTIES OF SWEET ROWANBERRIES IN POWDER SUGAR.
- [5] Kylli P., Nohynek L., Puupponen-Pimiä R., et al. Rowanberry phenolics: compositional analysis and bioactivities. Journal of Agricultural and Food Chemistry. 2010;58(22):11985–11992. doi: 10.1021/jf102739v.
- [6] Raudonė L., Raudonis R., Gaivelytė K., et al. Phytochemical and antioxidant profiles of leaves from different Sorbus L. species. Natural Product Research. 2015;29(3):281–285. doi: 10.1080/14786419.2014.950577.
- [7] Olszewska M. A., Michel P. Antioxidant activity of inflorescences, leaves and fruits of three Sorbus species in relation to their polyphenolic composition. Natural Product Research. 2009;23(16):1507–1521. doi: 10.1080/14786410802636177.
- [8] Olszewska M. A., Nowak S., Michel P., Banaszczak P., Kicel A. Assessment of the content of phenolics and antioxidant action of inflorescences and leaves of selected species from the genus Sorbus sensu stricto. Molecules. 2010;15(12):8769–8783. doi: 10.3390/molecules15128769.
- [9] Giovanni Caudullo – Caudullo, G., Welk, E., San-Miguel-Ayanz, J., 2017. Chorological maps for the main European woody species. Data in Brief 12, 662-666. DOI: 10.1016/j.dib.2017.05.007
- Paul-Victor Fournier, Dictionnaire des plantes médicinales et vénéneuses de France, Omnibus.
- Petit Larousse des plantes qui guérissent, Larousse.
- Infoflora, Sorbus aucuparia.
- Tela-botanica, Sorbus aucuparia.
- Inventaire National du patrimoine naturel, Sorbus aucuparia.
J’aime la cuisine avec les plantes sauvages.
Alors on est deux! ^^
Justement, vous répondez à une question et donc très intéressant cet article avec la distinction des deux sorbiers. Dans ma région Aude 11 : le Sorbus domestica semble largement majoritaire. Il y a de grands arbres couverts de fruits cette année !
En ce moment, les “Sorbes” jaunes et donc les cormes commencent à tomber et font le régal des sangliers. C’est quand elles sont “trop” mûres ou blettes qu’elles sont délicieuses pour nous. Il suffit donc de les ramasser et d’attendre.
Bonjour Clémentine,
Merci de votre message, quelle chance d’en avoir près de chez-vous ^^
J’ai rajouté les cartes de répartitions pour voir plus clairement où il pousse.
Amitiés
Michaël