Les plantes sauvages les plus récoltées en Europe sont probablement le pissenlit et l’ail des ours. Cette dernière est fortement appréciée sous forme de pestos, autrement dit conservée dans l’huile. C’est un véritable régal pour les papilles qu’il est possible de décliner sous diverses manières, et comme l’ail des ours est antimicrobien, il se conserve bien. Il convient cependant de veillez à le préparer correctement pour éviter tout risque de botulisme, une maladie rare, mais qui peut affecter des conserves mal conditionnées. Voyons comment!
Si vous appréciez réaliser des conserves de plantes dans de l’huile, il faut savoir qu’il existe un risque, bien que rare, qu’une conserve de plantes sauvages, ou non sauvage, soit infectée par une toxine extrêmement dangereuse appelée toxine botulique. Les cas sont rares et plus fréquents dans les pays de l’est de l’Europe, où la tradition de la cueillette et sa conservation est plus vive. Le but de cet article n’est pas de vous faire paniquer ou paranoïer, mais de vous aider à bien connaître les faits et savoir comment éviter les problèmes.
Durant de nombreuses années, j’ai fait des pestos sans m’en soucier, car comme beaucoup de personnes je n’étais pas au courant de ce problème. Je n’en parle même pas dans mon livre qui traitre du sujet des conserves, car je ne connaissais pas bien ce sujet lors de la rédaction. Mais après coup, je crois qu’il est important de partager ce genre d’information, d’autant plus qu’en général on aime bien offrir des bocaux à nos proches. Et c’est encore plus important si vous les vendez.
Botulisme et toxine botulique
Le botulisme est une maladie provoquée par une toxine appelée toxine botulique. Celle-ci a une particularité: c’est une des plus toxiques au monde! Moins d’un millionième de gramme de toxine suffit pour tuer une personne pesant 70 kg [2]. Elle provient d’une bactérie appelée Clostridium botulinum. Celle-ci se trouve abondamment dans les milieux marins… et … les sols! Elle apprécie les milieux anaérobies (sans oxygène), où elle survit longtemps sous forme de spores.
Donc les spores de cette bactérie sont fréquentes dans les sols, sur lesquels poussent des plantes sauvages. Une fois la plante dans un milieu anaérobie comme de l’huile (un pesto par ex), la toxine pourrait se développer à partir des spores de la bactérie.
Le botulisme est rare en Europe puisqu’il y a environ 200 cas par an, soit 0,3 cas par million d’habitants [1]. En Suisse, on recense 1 à 2 cas par ans [2] et en France 40 à 50 [5]. Lorsqu’elle est ingérée par voie alimentaire, elle peut provoquer une paralysie des membres respiratoires dans les 12 à 36h pouvant être mortelle. Avant cela, les symptômes sont les suivants:
- maux de tête
- sécheresse de la bouche
- paralysie des muscles des yeux
- un enrouement
- des difficultés à avaler.
Le fait qu’elle cause une paralysie des muscles a été judicieusement utilisé en cosmétique pour créer… le botox! Dont on reconnaît maintenant la parenté du nom.
Les cas les plus fréquents surviennent après ingestion de conserves avariées, principalement de charcuterie mal cuite. Encore une fois, les cas sont rares, mais mieux vaut prévenir que guérir n’est-ce pas? Alors voyons comment!
Les conditions favorables
La toxine botulique se développe de manière optimale dans certaines conditions qu’il faut connaître pour comprendre le phénomène et comment y remédier:
- Absence d’oxygène: elle n’aime pas l’oxygène, c’est la raison pour laquelle elle peut se développer dans l’huile.
- Un peu d’eau: il lui faut un peu d’eau, donc une plante sèche ne pose pas de problème au contraire d’une plante fraiche qui contient en moyenne 80% d’eau.
- Une température ambiante >3°C: la réfrigération diminue la production de la toxine (sans la stopper pour autant) tout comme une température élevée (> 85°C) [2-9].
- Un pH neutre : une préparation acide (pH < 4.6) empêche la spore de produire la toxine [9].
Que faire pour éviter le botulisme?
En résumé, on peut déjà facilement éviter les risques par les mesures suivantes:
- utiliser une plante sèche: le risque existe si la plante est fraiche, car elle contient un peu d’eau. Donc si vous faites une huile ou un pesto avec une plante sèche, pas de problème!
- consommer de suite: une manière simple d’éviter les risques est de consommer immédiatement votre pesto. Ainsi, les spores de Clostridium botulinum n’auront pas le temps de produire la toxine. Le risque existe donc uniquement si vous conservez votre pesto, au-delà d’un jour déjà en théorie. Il est recommandé de conserver son pesto 5 à 7 jours au frigidaire. Au-delà, il faudra opter pour une des techniques de conservation ci-dessous.
Ayez du nez avant de consommer
Selon l’office de la santé Suisse, il convient d’éviter de consommer des conserves dont le couvercle est bombé ou qui ne sont pas fermées hermétiquement:
- s’il y a échappement de gaz à l’ouverture
- pas de clic à l’ouverture
- on évitera également les conserves à l’odeur suspecte, mais attention, la toxine ne produit pas d’odeur!
Cuisson des conserves
Si vous désirez conserver une plante fraiche dans de l’huile plus longtemps qu’une semaine au frigo, avoir du nez à l’ouverture n’est probablement pas suffisent et peut même être risqué.
La manière la plus simple et sûre de détruire la toxine botulique est une cuisson de votre préparation à 85°C durant 15min [3]. Faites-le avant de consommer une conserve si vous avez un doute!
Mais… car il y a un mais, la cuisson à 85°C détruit la toxine, mais pas les spores qui la produisent, qui eux sont détruits par autoclave durant 60min à 121°C [6]! Ils sont coriaces! Et on a pas tout un autoclave à la maison.
Bon, que faire alors? Une technique trouvée sur ce site [7] consiste à cuire sa préparation au four à 150°C. Les spores seront détruites en plus de la toxine et l’on pourra conserver sa conserve longtemps et sans risque. Je pense tout de même que 150°C est élevé, sachant que tout est détruit à 121°C. Je propose, mais c’est non prouvé, de chauffer au four à 130°C durant 1h. Ainsi, on prend 10°C de marge par rapport au 121°C.
Si on ne désire pas stériliser ses pesto, on veillera tout de même à les utiliser uniquement comme condiment dans des plats cuits. Pour un pesto frais sur une tranche de pain, on le réalisera le moment même avec la plante fraichement cueillie.
Je résume donc :
- Consommer un pesto de plante sauvage fraichement cueillie et préparé sur le moment: OK
- Consommer un pesto après plusieurs jours/mois et CRU (sur du pain par ex): NON -> ou on le cuit à 85°C juste avant.
- Consommer un pesto après plusieurs jours/mois et CUIT en condiment dans un plat ou une sauce: OK
Je sais, c’est dommage, car la cuisson détruira une partie des vitamines et d’autres bienfaits de la plante. Mais, c’est le prix à payer pour profiter de votre préparation en toute sûreté. Et il n’y pas que les vitamines dans une plante, les minéraux et plein d’autres éléments ne serons pas affectés.
Congélation
Vous êtes plusieurs à m’avoir demandé si on peut congeler un pesto. Je n’ai pas de réponse tranchée. Ce qui est sûr, c’est que la congélation à la maison ne va pas détruire les toxines ou la bactérie. On sait que la production de toxine a lieu surtout à température ambiante. Donc en théorie, la congélation va ralentir la production, probablement de manière très prononcée. Suffisamment? Je ne sais pas. Si vous consommez rapidement après décongélation, cela devrait aller, mais il n’y a rien de sûr là dedans…
Je pense tout de même, mais à titre personnel et sans pouvoir affirmer quoi que ce soit, que la congélation est la manière la plus simple pour conserver un pesto. Car à -18°C, le métabolisme des organismes est drastiquement réduit et cela doit limiter très fortement les risques.
Lactofermentation : une manière efficace d’empêcher le botulisme
On a vu plus haut que le spore de C. botulinum n’aime pas l’acidité. Il ne se développe en général pas en-dessous de pH 4.6 (bien que cela puisse arriver! [10]). Cela tombe bien, car il existe une méthode de conservation appelée lacto-fermentation qui réduit fortement le pH de la conserve, empêchant ainsi aux spores de produire la toxine. Vous pouvez donc opter pour une lactofermentation à la place de vos pestos…
Et si on veut, on peut même faire un mélange des deux, comme le propose Marie-Claire Frédéric dans son excellent article sur le sujet [8]. Elle propose de lactofermenter votre plante durant 2 semaines. C’est suffisant pour abaisser le pH et inhiber la production de toxine. Puis, égoutter et transvaser dans l’huile ce qui permettra ainsi une longue conservation.
Cette méthode me semble la plus efficace pour profiter d’un pesto en toute sécurité. Je ne l’ai encore testée pour vous partager mon expérience, mais n’hésitez pas à partager les vôtres en commentaire!
Avertissement
Les informations communiquées dans cet article le sont à titre informatif uniquement. Nous ne sommes ni médecins ni thérapeutes, et ne pouvons donner de conseils de santé. Ces informations ne peuvent se substituer à un avis médical.
Références
- [1] « Factsheet for the general public », ecdc.europa.eu
- [2] Botulisme, Office fédéral de la santé publique OFSP.
- [3] Botulisme – l’essentiel en bref, Office fédéral de la santé publique OFSP.
- [4] Le danger des légumes mis directement dans l’huile, Ni cru, ni Cuit. Marie-Claire Frédéric.
- [5] Bulletin épidémiologique hebdomadaire du 22 février 2011 [archive]
- [6] Qu’est-ce que le botulisme, Office fédéral de la santé publique OFSP
- [7] Ricard Cuisine, Les huiles aromatisées: dangers et précautions.
- [8] Ni Cru Ni Cuit, Le Danger des huiles mises directement dans l’huile.
- [9] Ophanet, le portail des maladies rares, Botulisme alimentaire.
- [10] Raatjes GJ, Smelt JP. Clostridium botulinum can grow and form toxin at pH values lower than 4.6. Nature. 1979 Oct 4;281(5730):398-9. doi: 10.1038/281398a0. PMID: 39257.
- Image par Elena Mozhvilo.