Plantes sauvages dans cet article:
L’aspérule odorante fait partie de ces petits joyaux printaniers dont j’attends la venue avec impatience. Car il existe des plantes qui nous plaisent plus que les autres. On les trouve plus belles, on préfère leur odeur ou leur goût. Les voir pousser dans la nature est un moment de grâce. Il suffit d’en apercevoir une dans la végétation pour être de bonne humeur.
Article publié en partie dans le journal de phytothérapie “La pharmacie secrète de dame nature”,
N°9, mai 2018.
ASPERULE ODORANTE
Gaillet odorant, reine des bois.
Nom latin Galium odoratum
Famille Rubiacées (comme le café !)
Floraison Avril-juin
Milieu Sous-bois des forêts de hêtre (en plaine en Suisse, presque toute la France et en Belgique)
Altitude Jusqu’à ~1500m
Cueillette Avril-Mai-juin
Botanique
Sous la protection du hêtre
L’aspérule odorante est une jolie petite plante comestible qui pousse dans les sous-bois de hêtre, de temps à autre avec quelques résineux. Consultez la fiche Infoflora (CH) ou TelaBotanica (FR) pour accéder aux cartes et descriptions botaniques complètes. Le hêtre est l’un des arbres les plus abondants d’Europe en moyenne altitude. Un des plus majestueux aussi. Est-ce pour cette raison que l’aspérule était appelée autrefois Mater silvarum, la mère des bois ?
Comment reconnaître l’aspérule odorante
À partir de la deuxième moitié du printemps, j’aime me promener dans ces forêts, ni trop sèches ni trop humides. J’ai de bonnes chances d’y apercevoir une colonie de petites plantes à l’apparence délicate, pas plus hautes que 10 à 30 cm, dont les feuilles sont réunies en verticilles. C’est-à-dire que 6 à 8 feuilles fines et allongées partent de la même hauteur sur la tige, dans toutes les directions. Je me baisse pour en cueillir une, je fais rouler la tige entre mes doigts. La tige est carrée ! Autre critère : ses fleurs à l’odeur subtile sont composées de 4 petits pétales blancs. Elles apparaissent au mois de mai ou juin suivant les régions.
Risques de confusion
Si je m’en tiens à ces critères et que je reste sous la hêtraie, je sais qu’il n’y a pas de risque de confusion avec des plantes toxiques. Il existe d’autres plantes de la même famille qui poussent dans nos régions, comme le gaillet blanc (Galium album)en prairie et le gaillet gratteron (Galium aparine), toutes deux comestibles. Le gratteron peut pousser près de l’aspérule, mais il a une texture très rêche, d’où son nom.
Cueillette de l’aspérule
La personne qui m’a appris les plantes m’avait dit qu’il fallait récolter l’aspérule avant la floraison. Ce que j’ai fait jusqu’à m’apercevoir que d’autres personnes la récoltent lorsqu’elle est en fleur, voir même après. Il n’y a donc pas vraiment de règles.
Mais y a-t-il une meilleure pratique? Je n’en suis pas sûr, car il faudrait faire plusieurs tests. Aujourd’hui mon expérience me dit qu’il est préférable de la récolter au moment de l’apparition des fleurs, lorsqu’elles sont au stade de bouton ou tout juste ouvertes. Car si vous désirez sécher des fleurs épanouies, les pétales vont tomber et vous perdrez une partie de la plante. Dommage…
Comme d’habitude, on récolte là où la plante est abondante! Si vous ne l’avez pas encore fait, je vous suggère de lire les règles d’une cueillette respectueuse de la nature.
La saison de récolte varie en fonction de votre région (latitude et altitude) de l’année. Elle se situe en gros dès la fin du mois d’avril et début mai (pour les fleurs tout juste épanouies). La fenêtre de cueillette est donc assez courte.
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Cuisine de l’aspérule odorante
La plante n’a pas d’odeur particulière lorsqu’elle est fraîche, mais une fois séchée, les coumarines qu’elle contient dégagent une odeur très parfumée, légèrement vanillée.
L’odeur est similaire à la fève de tonka et au mélilot. L’aspérule était bien connue des populations germaniques qui l’utilisaient dans la fabrication de boissons alcoolisées. Le fameux Maitrank (vin de mai) est une boisson délicieuse qui s’obtient par macération de la plante dans un vin blanc doux (voir recette plus bas). C’est une boisson typique du mois de mai dont la première trace écrite remonte à l’an 854 ! Il est traditionnel en Alsace, en Belgique, au Luxembourg et en Allemagne. Il a des propriétés calmantes et digestives.
C’est une plante qui s’utilise en infusion ou macération, pour extraire son arôme, qui se marie bien avec le sucré. C’est pour cela que les vins d’aspérule sont souvent doux et qu’elle entre dans la réalisation de nombreux desserts. Le liquide peut donc être du vin, de l’eau, du vinaigre, de la crème… bref tout est possible. Voici quelques idées de préparations:
- Vin de mai
- Crèmes brûlées
- Glaces
- Limonade
- Tisane
Les parties utilisées pour la macération du vin sont les feuilles avant ou après floraison comme nous l’avons vu. Pour la réalisation du vin, elle peut être mise à macérer fraiche. L’idéal étant de la flétrir légèrement avant pour qu’elle dégage plus d’odeur. Mais la plupart des recettes traditionnelles, si ce n’est toutes, demandent de mettre la plante fraiche directement dans le vin.
Vin de mai à l’aspérule odorante
Ingrédients
- 20 tiges Aspérule odorante
- 1 L Vin doux (gewurztraminer ou malvoisie
Instructions
- Récolter de l'aspérule odorante lorsque les fleurs sont juste au stade de bouton, ou tout juste fleuries.
- Avant je conseillais de faire faner les feuilles jusqu'à ce qu'elles dégagent du parfum (1-2 jours) ou de les placer au four durant 15 min à 50°C. Mais en réalité, cela fonctionne tout aussi bien avec les plantes fraiches, c'est même plus simple!
- Placer les tiges entières, avec les feuilles et les fleurs dans le vin. C'est normal que les plantes fraiche noircisse dans le liquide. Elle ne doivent pas dépasser du niveau de vin, sinon elles risquent de moisir.
- Laisser macérer durant 5 jours minimum. Goûtez! En fonction de la puissance de l'arôme de votre récolte, vous pourrez augmenter la durée de quelques jours.
- Filtrer au filtre à café permanant et mettre en bouteille.
Notes
- A conserver au frais et à boire dans l’année.
Propriétés médicinales de l’aspérule odorante
L’aspérule odorante n’est pas la plante médicinale la plus connue. Elle possède néanmoins des vertus utilisées en médecine populaire et quelques études intéressantes à son sujet.
Les parties aériennes, feuilles et fleurs, sont utilisées pour traiter l’agitation nerveuse, la jaunisse, les hémorroïdes, ainsi que les problèmes de circulation. Les feuilles écrasées ont été utilisées pour accélérer la guérison des plaies [1,2] et cet usage a été confirmé par des études qui montrent un effet anti-inflammatoire ainsi que la faculté d’accélérer la guérison des brûlures (au 2e degrés, chez les rats) [3].
Ses propriétés antiseptiques des voies urinaires lui permettent de contrer les engorgements du foie et de la rate. Maintenues sur le front, les feuilles calment les migraines.
À la maison, l’aspérule odorante est une bonne tisane du soir, car elle est calmante et digestive. Elle s’emploie donc pour les troubles du sommeil et les insomnies, calmer le stress et les angoisses ainsi que pour lutter contre les troubles digestifs mineurs.
Une tisane qui vous aidera à dormir
Pour réaliser une infusion calmante, infusez 30 à 50 g de feuilles ou de sommités fleuries, sans faire bouillir, durant moins de 10 minutes. Prenez 3 tasses par jour.
L’aspérule s’associe bien avec la véronique officinale, la sauge, la mélisse et les feuilles de fraisier.
Toxique, l’aspérule odorante?
L’aspérule odorante est une plante qui présente une certaine toxicité en raison de sa teneur en coumarines. Il y a deux aspects à prendre en compte.
1. Toxicité des coumarines
Le premier aspect concerne la coumarine. La plante séchée en contient environ 1% qui, si elles sont prises à hautes doses, peuvent causer des migraines, des vomissements, des vertiges ainsi qu’une toxicité hépatique. C’est une plante cultivée commercialement pour en extraire cette molécule [4]. Des études ont démontré une toxicité chez les rongeurs après la consommation de fortes doses de coumarines: formations de tumeurs, problèmes hépatiques et pulmonaires. D’où une certaine crainte pour l’humain. Cependant, il a été démontré que les coumarines empruntent un autre chemin métabolique chez l’homme et aucune toxicité n’a été reportée, même après des doses 100 fois supérieures aux prises journalières qui causaient des soucis chez les rats [11].
Il est conclu que l’exposition à la coumarine contenue dans les produits alimentaires et/ou cosmétiques ne présente aucun risque pour la santé humaine [11]. Sur la base des données relatives à la toxicité de la coumarine, 7 g de fleurs fraîches de Galium odoratum sont considérés comme une quantité sûre de fleurs pour la consommation humaine (pour un adulte de 70 kg).
2. Séchage de l’aspérule et production de dicoumarol
Le deuxième aspect concerne le séchage. Vous lirez souvent que si la plante noircit au séchage, il se peut que les coumarines se transforment en dicoumarol par un processus fongique ou par moisissure. Cette molécule a un effet très puissant, car c’est un anticoagulant puissant (anti-vitamine K). Ce dicoumarol a été utilisé comme mort au rat (il crée des hémorragies) puis transformé et commercialisé dans les années 50 comme médicament anticoagulant.
Ce processus n’a, à notre connaissance, jamais été observé chez l’aspérule. Cette crainte par rapport au dicoumarol provient d’une autre plante à coumarine, le mélilot.
Voici la traduction d’une revue scientifique qui explique l’histoire du mélilot et de la découverte du dicoumarol:
À la fin du XIXe siècle, les éleveurs d’Amérique du Nord ont commencé à semer du Melilotus officinalis et du Melilotus alba (mélilot) importés d’Europe pour nourrir leur bétail. Peu après, les bovins ont commencé à développer une nouvelle maladie mortelle caractérisée par des saignements abondants. Francis Schofield, un vétérinaire anglais émigré au Canada, a supposé que la maladie était liée à la consommation de foin avarié, le foin frais ne provoquant pas de maladie. Il a démontré que l’élimination du foin avarié de l’alimentation, ainsi que la transfusion de sang d’animaux sains, amélioraient significativement l’état de santé des animaux atteints.
L’étiopathogénie de cette nouvelle maladie est restée une énigme, jusqu’à ce que Karl Paul Link et ses collègues de l’université du Wisconsin découvrent que le foin avarié était contaminé par plusieurs espèces d’Aspergillus. Ces champignons oxydent la coumarine naturellement présente dans le Melilotus en 4-hydroxycoumarine, qui réagit à son tour avec le formaldéhyde et une autre molécule de coumarine, conduisant à la production de dicoumarol.
Coumarin-Induced Hepatotoxicity: A Narrative Review (Pitaro et al. 2022)
En résumé, le bétail peut s’intoxiquer à cause d’une molécule créant des hémorragies, apparue suite à la transformation des coumarines des mélilots par des champignons lors d’un mauvais séchage. L’aspérule odorante contenant également des coumarines, il est supposé qu’un mauvais séchage de cette plante peut aussi mener à la formation de dicoumarol. Mais je le répète, à notre connaissance, ceci n’a jamais été observé.
Cependant, dans le doute:
Il est recommandé de jeter toute plante à coumarine (aspérule, mélilots, flouve odorante…) noircie au séchage.
Comment sécher l’aspérule odorante?
L’aspérule doit donc être séchée dans un endroit bien sec et à l’abri du soleil, à moins de 55°C, puisque ce serait la température qui favorise la production de dicoumarol toxique [14].
Si votre environnement est humide, un séchage au four ou au déshydrateur est plus sûr, à la plus basse température (30-35°C).
Selon notre expérience, l’odeur ne se développe pas bien si le séchage ne s’est pas fait correctement. Veillez à ce qu’elle ne prenne pas l’humidité. L’odeur maximale est atteinte après quelques jours de séchage seulement, lorsqu’elles sont fanées, mais pas encore complètement sèches. C’est le moment optimal pour l’utiliser !
Dans tous les cas, l’odeur faiblit au séchage et réapparait une fois infusée. Mais pas toujours. Cela doit dépendre du sol ou du moment de cueillette.
En conclusion, il n’y a pas de risque à consommer de l’aspérule odorante si vous êtes en bonne santé. Par contre, il existe des précautions [4]:
- si vous souffrez de problèmes circulatoires
- si vous êtes sous anticoagulant
- si vous êtes enceinte
Et comme nous l’avons vu, si la plante a noirci au séchage, mieux vaut par prudence s’abstenir de la consommer.
Les informations données ici peuvent ne pas être suffisantes pour déterminer ou utiliser une plante avec sécurité. N’oubliez pas, au moindre doute abstenez-vous! Faites-vous conseiller par un guide professionnel, achetez de bon ouvrages de références et utilisez les applications de reconnaissance par photographie avec discernement. Sachez que nous organisons des cours sur les plantes sauvages comestibles, médicinales et toxiques régulièrement.
Références
[1] Gruenwald, J., Brendler, T., & Jaenicke, C. (2007). PDR for herbal medicines. Thomson, Reuters.
[2] Soltani, A. (2005). Encyclopedia of traditional medicine herbal. Tehran: Arjmand.
[3] Kahkeshani N, Farahanikia B, Mahdaviani P, et al. Antioxidant and burn healing potential of Galium odoratum extracts. Res Pharm Sci.
2013;8(3):197‐203.
[4] Chevallier. A. The Encyclopedia of Medicinal Plants Dorling Kindersley. London 1996 ISBN 9-780751-303148
[5] https://fr.wikipedia.org/wiki/Galium_odoratum
[6] Dr Jean Valnet, La Phytothérapie, Le livre de Poche.
[7] Paul-Victor Fournier, Dictionnaire des plantes médicinales et vénéneuses de France, Omnibus.
[8] Couplan et E. Styner, Les plantes sauvages comestibles et toxiques, Delachaux et Niestlé.
[9] Cazin, Traité des plantes médicinales, 1868, aspérule odorante.
[10] Christophe Bernard, Vins médicinaux et élixirs, La Source de Vie.
[11] B.G Lake, Coumarin Metabolism, Toxicity and Carcinogenicity: Relevance for Human Risk Assessment, Food and Chemical Toxicology, Volume 37, Issue 4, April 1999, Pages 423-453
[12] Williamson, E. M., Drug interactions between herbal and prescription medicines., Drug safety, Drug interactions between herbal and prescription medicines.
[13] Pitaro M, Croce N, Gallo V, Arienzo A, Salvatore G, Antonini G. Coumarin-Induced Hepatotoxicity: A Narrative Review. Molecules. 2022 Dec 19;27(24):9063. doi: 10.3390/molecules27249063. PMID: 36558195; PMCID: PMC9783661.
[14] Bye A, King HK., The Biosynthesis of 4-Hydroxycoumarin and Dicoumarol by Aspergillus fumigatus Fresenius. Biochem J. 1970 Apr;117(2):237-45. doi: 10.1042/bj1170237. PMID: 4192639; PMCID: PMC1178855.
[15] Egebjerg MM, Olesen PT, Eriksen FD, Ravn-Haren G, Bredsdorff L, Pilegaard K. Are wild and cultivated flowers served in restaurants or sold by local producers in Denmark safe for the consumer? Food Chem Toxicol. 2018 Oct;120:129-142. doi: 10.1016/j.fct.2018.07.007. Epub 2018 Jul 5. PMID: 29981787.