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Impératoire (Peucedanum ostruthium): Histoire, Cueillette et Cuisine

Plantes sauvages dans cet article: 

Thèmes: 
Michaël Berthoud
/
8 août 2021

L’impératoire est une plante comestible et médicinale poussant dans les Alpes. Son odeur poivrée est surprenante et ne s’oublie pas. Reconnue et valorisée à la Renaissance, elle est aujourd’hui principalement connue dans quelques vallées montagnardes, et par les cuisiniers un peu curieux. Nous vous proposons un tour d’horizon de sa cueillette, de sa cuisine et de ses propriétés médicinales.

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Impératoire
Peucedanum ostruthium (InfoFlora, TelaBotanica)

Famille Apiacées
Floraison juin-août
Milieux Montagne, pentes humides
Altitude 0-2200 m
Abondance Localement abondante
Parties utilisées Racines, feuilles, fruits
Utilisation Fumage, marinades, vins et liqueurs, desserts…
Propriétés médicinales Digestif, pectoral, anti-inflammatoire

Je me souviens très bien de ma première rencontre avec l’impératoire dans les Préalpes vaudoises, durant un beau mois de juin. J’avais lu son nom dans divers ouvrages sur les plantes médicinales. Un nom pareil ne s’oublie pas et il m’avait intrigué dès le début. Je me réjouissais de la rencontrer et j’ai été émerveillé de son odeur intrigante et surprenante.

Il existe peu de ressources et d’informations sur cette plante. Quasi aucun article ou blog sur internet parle de sa cueillette et de sa cuisine de manière pratique. Il faut la chercher dans des livres et publications spécialisées et discuter avec des cuisiniers, qui l’apprécient beaucoup. Puis, expérimenter. Il reste donc probablement beaucoup à découvrir alors n’hésitez pas à partager vos expériences en commentaire!

Reconnaître l’impératoire

J’ai aperçu cette plante (que je ne connaissais encore que de nom et par photos) dans une pente raide et humide de moyenne montagne. Ce genre d’endroit s’appelle un couloir à avalanches, car durant la saison froide, elles aiment s’y engouffrer. C’est un milieu riche en eau et en nutriments, appelé mégaphorbiaie par les phytosociologues, les spécialistes des “sociétés de plantes”. Il est caractérisé par un feuillage qui recouvre densément le sol et par un faible développement vertical. Les plantes y ont généralement de grandes feuilles, ce qui favorise un microclimat frais et humide, et des sols à l’activité biologique intense. La végétation de la mégaphorbiaie est donc luxuriante.

L’impératoire est donc une plante de montagne typiquement alpine. Il n’est pas utile de la rechercher en plaine. Elle pousse également dans les Pyrénées ainsi que dans le nord de l’Europe comme en Suède.

À côté de l’impératoire, on y trouvera de nombreux adénostyles, des chérophylles et des renoncules, toutes à larges feuilles. La floraison printanière y est magnifique, avec son cortège de fleurs roses (Adénostyle à feuilles d’alliaire, Adenostyles alliariae) et violettes (Cicerbite des Alpes, Cicerbita alpina).

Impératoire dans son milieu
Impératoire dans son milieu

Je repère donc une plante en grand nombre, aux feuilles divisées en trois parties, elles-mêmes divisées en trois. Je me dis que cela peut être elle. Pour en être sûr, rien de tel que mettre les mains à la terre et voir à quoi ressemblent les racines. J’en déterre un morceau, non sans difficulté d’ailleurs. Les rhizomes sont gros, charnus et boursouflés. Cela se présente bien. J’en coupe un en deux et que vois-je, une sève jaunâtre s’en écoule, qui me tache les doigts. Après quelques minutes seulement, elle sèche, s’oxyde et devient brune. Bingo! C’est bien l’impératoire, Peucedanum ostruthium.

Pour achever la détermination, on reviendra au mois juillet-août pour observer les fleurs. Celles-ci sont blanches et réunies en ombelles et en ombellules. Sous chaque ombellule, on remarquera 3 petites feuilles qui pointent dans la même direction qu’on appelle “bractéoles” (voir les photos ci-dessous).

Risques de confusion

L’impératoire peut être confondue avec des plantes toxiques. À ma connaissance, c’est principalement le cas avec des renoncules comme la renoncule élevée, Ranunculus platanifolius, qui peut pousser dans le même milieu, et la renoncule à feuille d’aconit, Ranunculus aconitifolius. Ces deux renoncules se ressemblent beaucoup, ainsi, il n’est pas forcément nécessaire de les différencier l’une de l’autre.

Toutefois, soyez attentif! Pour les différencier de l’impératoire, on fera facilement la différence à l’état fleuri, car elles possèdent des fleurs qui ne sont pas disposées en ombelles, mais cela se complique avant la floraison. Ce sont les feuilles qui se ressemblent beaucoup. Cependant, Si vous observez attentivement, vous remarquerez que les folioles de la renoncule sont collées entre elles, alors qu’un petit bout de tige, appelé pétiolule, sépare les segments chez l’impératoire.

Imperatoire et renoncule à feuilles d'aconit

Histoire et propriétés traditionnelles de l’impératoire

Selon Fournier, la première mention sûre de l’impératoire viendrait de Hildegarde de Binden au 12ᵉ siècle, sous les noms Ostrucion et Astrantia [1]. Avant cela, il est difficile de remonter son histoire. La botanique de cette époque étant moins précise qu’aujourd’hui, on perd la trace exacte de certaines espèces. Toujours selon Fournier, Peucedanum provient du grec Peuké signifiant “pin”, et se rapporte à l’odeur résineuse de sa racine. Dioscoride, médecin grec du 1ᵉʳ siècle apr. J.-C., fait mention d’un Peukedanon. Il pourrait bien s’agir de l’impératoire, mais rien n’est certain.

Quoi qu’il en soit, elle a longtemps été considérée comme une panacée, à la manière de l’angélique, et a même été comparée au ginseng. Impératoire est un nom qui en dit long… Ses noms allemands Meisterwurz et anglais Masterwort, “racine maîtresse”, témoignent également de ce respect dont on lui témoignait. Du 15ᵉ au 19ᵉ siècle, elle était recommandée contre le diabète, l’hystérie, les fièvres, les tumeurs de la rate, le rhume des foins et la poudre de ses racines était considérée comme un remède divin. On l’employait par ailleurs contre les troubles digestifs et les affections respiratoires. Bien qu’originaire des Alpes, elle était communément plantée dans les jardins de plaine.

Impératoire illustration Fuchs
Impératoire, Peucedanum osthrutium, dans l’herbier de Fusch.

En dehors de son habitat naturel, l’impératoire a été oubliée depuis la renaissance. Son utilisation s’est pourtant maintenue dans certaines vallées des Alpes, comme dans le val d’Anniviers. Sabine Brüschweiler nous livre de nombreux témoignages passionnants dans sa thèse sur les usages des plantes médicinales de cette région [2]. On y apprend que cette plante était (est l’est toujours) considérée comme sacrée, probablement par les bienfaits qu’elle procure. Elle était très souvent employée en fumigation, dans les chalets exigus, brûlée ou posée sur la pierre ollaire. La fumée de combustion de ses racines aurait, selon la tradition et les témoignages, des vertus purificatrices de l’air qu’elle servait à assainir lors des hivers rigoureux. La fumigation servait même à soigner les plaies ouvertes et les infections urinaires (si si ^^) en s’asseyant 2 à 3 trois fois par jour sur un sceau contenant une racine qui brûle. Quant aux feuilles, elles étaient bues en tisanes (fraiches ou sèches) et soignaient efficacement les pneumonies et prises en bain, les fractures osseuses. Portée en pendentif autour du cou, elle servait à prévenir des maladies respiratoires.

“Maman tentait chaque année, lors de la boucherie, un bout de saindoux comme remède. Elle faisait des emplâtres. Elle mettait un papier d’emballage, elle l’enduisait de saindoux, elle râpait des racines d’impératoire sèches dessus et elle mettait un peu d’eau de Cologne. Elle chauffait un peu le tout au pierre ollaire et elle appliquait, un devant et un derrière, sur les poumons. Elle mettait encore de la laine non dégraissée par-dessus. C’était pour pas laisser venir des tuberculoses, des pneumonies […] Elle tenait toujours des racines d’impératoire pour quand on avait la toux.” (Témoignage recueilli par S. Bruschweiler dans le val d’Anniviers).[2]

Propriétés scientifiques

Malgré de nombreux autres témoignages tels que celui-ci, elle n’est quasi plus utilisée aujourd’hui. La plateforme PubMed rapporte uniquement 15 résultats, alors que l’ortie en compte 610!

On y trouve cependant quelques études qui suggèrent des propriétés intéressantes. Une molécule semble intéresser les chercheurs plus particulièrement, l’ostruthine. En effet, ce principe actif pourrait avoir des propriétés bénéfiques dans le traitement des maladies cardiovasculaires, d’Alzheimer et de certaines infections bactériennes [3]. En outre, des propriétés anti-inflammatoires paraissent prometteuses [4].

Aujourd’hui, elle est principalement recommandée dans le traitement des troubles digestifs: crampes, ballonnements, productions de gaz, digestions difficiles…

Dans sa thèse de master consacrée à l’impératoire, Camille Amedea Brioschi a dressé un tableau particulièrement intéressant qui résume les usages traditionnels et ceux reconnus scientifiquement [5]:

Selon la médecine populaireSelon les études pharmacologiques modernes
CardiovasculaireCardiovasculaire
Active la circulation sanguineImpact sur la prolifération des cellules lisses vasculaires, activité antagoniste du calcium : maladies cardiovasculaires
Dermatologie
Favorise la cicatrisation des plaies, anti-inflammatoire, désinfectant
ToniqueTonique
Renforcement du système immunitaire, diaphorétiqueActivité immunomodulatrice et anti-inflammatoire, antiphlogistique et antipyrétique
Système nerveuxSystème nerveux
Calmant, renforcement général, maux de têteTraitement de la maladie d’Alzheimer. Traitement de l’épilepsie et d’autres maladies neurodégénératives.
Gastro-intestinalAutres
Digestion, brûlures d’estomac, coliquesActivité antibiotique
Activité antimycosique
ORL
Rhume, toux, bronchite, maladies pulmonaires

Précautions

L’impératoire contient des furanocoumarines pouvant se montrer photosensibilisantes. Les personnes à la peau sensible devraient donc veiller à mettre des gants durant la récolte pour éviter le contact jus+peau+soleil qui pourrait provoquer des brûlures ou démangeaisons. Je n’ai personnellement jamais eu de souci, mais nous sommes tous différents.

Cueillette respectueuse de l’impératoire

Comme toujours, on suit les règles de respect d’une cueillette durable. On ne récolte que là où la plante est abondante, on doit pouvoir laisser 80 à 90 % de la population en place. De plus, on se raisonnera à ne récolter que ce qui nous est nécessaire. Ceci est particulièrement important lors de la récolte des racines.

Les racines se récoltent avant ou après la période de floraison. Par conséquent, avant juin ou dès septembre. La cueillette printanière est plus facile, car les feuilles sont visibles, alors qu’en automne, elles ont disparu. Il faut alors s’aider des tiges sèches, ce qui complique la détermination, parce qu’elles peuvent facilement être confondues avec les renoncules. Je vous recommande donc une récolte au printemps pour commencer.

Les feuilles se récoltent, elles aussi, avant la floraison et les fleurs en été de juin à août selon les régions.

Comment cuisiner l’impératoire?

L’impératoire a une saveur particulière, à la fois amère et poivrée, et c’est une de mes préférées! Mais, il faut l’apprivoiser, car son amertume complique la cuisine.

Ce sont principalement les racines que j’utilise. Elle s’apprête de la même manière que l’angélique sauvage dont nous avons déjà parlé. Elle sert traditionnellement à parfumer certains fromages, ainsi que des liqueurs et les vins. Il vous suffit pour cela de faire macérer une poignée de racines dans 1L d’alcool (vodka, vins…) et d’attendre 1 à 2 semaines, rajouter du sucre à volonté et le tour est joué. Le résultat sera surprenant! Si le résultat et trop fort (amer et poivré), vous pouvez diluer avec l’alcool que vous avez utilisé.

Liqueur à l'impératoire
Liqueur à l’impératoire
Voici une recette de liqueur à l'impératoire facile à réaliser à partir des racines et avec de la vodka.

Mais, prudence, cet alcool est “puissant” et ne convient pas à tous. Il convient de s’écouter et de le consommer avec modération.

Il est possible d’aromatiser différents desserts à l’impératoire comme les crèmes brûlées et les glaces. Le secret pour éviter l’amertume est d’infuser une petite quantité de racines et de les infuser dans le lait, mais durant quelques minutes seulement (5–6 min). Ainsi, l’arôme subtil va être extrait, mais pas l’amertume, qui est extraite avec plus de chaleur!

Vous l’avez compris, il convient de limiter l’amertume. Pour ce faire, vous pouvez sécher les racines, les moudre puis les déposer au fond d’une casserole. Vous pourrez alors faire fumer des ingrédients comme les viandes et les pommes de terre, qui cuiront à la fumée d’impératoire. Le résultat est surprenant et très savoureux.

Une autre technique consiste à en faire une marinade en la mélangeant à du sel, que vous allez utiliser pour mariner une viande. Vous veillerez à nettoyer la viande à l’eau après la marinade pour enlever les particules de racines qui donneraient de l’amertume à votre plat.

Il est aussi possible d’utiliser les feuilles. J’avoue ne jamais les avoir utilisées pour l’instant. Comme elles ne poussent pas la porte à côté, je récolte les racines que je congèle, ce qui est plus commode pour moi. Mais, les feuilles d’impératoire sont aussi parfumées, bien qu’amères. Elles s’utilisent en légume cuit. Si vous avez des recettes, n’hésitez pas à les partager en commentaires!

Yvon Roduit, un lecteur du blog, nous transmet ses manières de l’utiliser:

Nous utilisons la feuille pour donner du relief et de l’aromatique à nos salades. Pour améliorer la saveur d’une soupe aux légumes une petite touche de feuilles remplace l’herbe à Maggi. De même pour une viande apprêtée en daube et cuit longuement un 1/4 de feuille va parfumer agréablement votre plat. (Bœuf ou chasse de préférence).

Les fruits s’utilisent de la même manière que les racines. Leur cueillette a l’avantage de ne pas tuer la plante, mais pour le même équivalent en poids, il en faudra beaucoup plus.

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  1. Bonjour! Merci pour ce partage! Je connaissais la plante, mais n’ai fait sa rencontre “officielle” que cette année. Je connaissais son utilité en cataplasme, mais n’étais pas très sûre de sa comestibilité. Je crois que c’est ton article dans une revue qui m’a prouvé qu’elle l’était, j’ai donc ainsi pu faire mieux sa connaissance..;). Personnellement, vu qu’elle pousse devant mon pas de porte, je l’utilise (uniquement la feuille pour le moment, mais peut-être que si j’ai le temps je sécherai quelques graines comme aromate) au printemps, quelques feuilles émincées dans la salade ou cuites avec les autres légumes du printemps dans des quiches,… Je sèche aussi les feuilles pour des tisanes.

    1. Auteur
      de l’article

      Bonjour Laeticia,
      Merci de votre commentaire et retour d’expériences, qu’elle chance d’en avoir sur le pas de la porte ^^ Les feuilles ne sont pas trop amères en salade?
      Amitiés
      Michaël

      1. Bonjour Michaël, excusez pour le délai de réponse, je n’ai pas eu de message concernant votre retour.. Donc non, elles ne sont pas trop amères, moins que certaines autres je trouve, mais elles ne sont effectivement pas seules dans la salade ou quiche (et j’ai l’habitude du goût végétal ;)). Il m’arrive d’en mettre sur une tartine quand je trafique dehors (des toute jeunes feuilles vertes clair), souvent avec une feuille d’alchémille qui pousse à côté ou de la ciboulette, et encore là ce n’est pas trop amer. Je n’ai pas encore eu l’occasion de goûter la racine..

        1. Auteur
          de l’article
  2. Mon mari,92 ans ramassait des racines pour se faire un peu d’argent lorsqu’il était jeune dans les Alpes italiennes,ceci pour un herboriste,mais il n’a jamais cherché qu’elle en était l’utilisation…dommage
    Avez vous une idée ?

    1. Auteur
      de l’article

      Bonjour Forano,

      Merci de votre message. Difficile à dire, on l’utilisait principalement pour les troubles digestif et les problèmes respiratoire. Mais je ne pourrai pas deviner l’utilisation de cet herboriste… chaque vallée dans les alpes avait/a ses propres remèdes.

      Amitiés

      Michaël

  3. Bonjour, nous utilisons la feuille pour donner du relief et de l’aromatique à nos salades. Pour améliorer la saveur d’une soupe aux légumes une petite touche de feuilles remplace l’herbe à Maggi. De même pour une viande apprêtée en daube et cuit longuement un 1/4 de feuile va parfumer agréablement votre plat. (Bœuf ou chasse de préférence). Voilà quelques expériences culinaires. Yvon

    1. Auteur
      de l’article